32
Une revenante

Lorsque Alix avait quitté la montagne, Morgana s’était perdue dans ses pensées. D’eux-mêmes, les événements des dernières semaines s’étaient imposés à son esprit, l’obligeant à vivre une nouvelle fois les récentes mésaventures de Maëlle…

 

* *

*

 

Dès son retour de la Montagne aux Sacrifices, Maëlle avait été en mesure de se servir plus aisément de la magie en puisant dans les bases préalablement fournies par sa mère. Dans une cellule temporelle créée par la Recluse, les deux femmes avaient passé deux mois à perfectionner et développer les talents peu nombreux, mais tout de même efficaces, de la Fille de Lune. Cette dernière n’avait pas caché sa joie devant les progrès accomplis avec l’aide de Morgana.

Quand la magicienne avait cru la jeune femme prête à affronter une première mission loin d’elle et de la protection que lui accordait sa montagne, elle lui avait expliqué ce qu’elle attendait d’elle.

— Tu te souviens de la vieille femme que tu as vue par le truchement d’une potion, le jour même où tu m’as parlé de Kaïn ?

Maëlle avait hoché la tête en signe d’assentiment.

— Eh bien, j’aimerais que tu te rendes chez elle. J’ai besoin de savoir pourquoi elle possède une copie du talisman de Maxandre et qui la lui a donnée.

Devant le froncement de sourcils interrogateur de la Fille de Lune, Morgana avait précisé ce qu’était ce talisman et ce qu’il représentait pour l’avenir de la Terre des Anciens.

— Est-ce que je pourrai m’en servir moi-même ? avait demandé Maëlle, espérant ainsi ajouter à ses pouvoirs très limités.

Morgana avait fait non de la tête d’un air franchement désolé.

— La maîtrise des pouvoirs et des connaissances que contient le pendentif est bien au-delà de tes capacités, Maëlle, avait-elle expliqué d’une voix douce. Il y a plus de risques que l’extraction des informations de ce talisman te tue que de te rendre les services que tu en attends.

La jeune femme avait soupiré avant d’acquiescer. Elle ferait ce que lui demandait Morgana. Celle-ci aurait préféré le faire elle-même, mais sa réclusion l’en empêchait. Pour faciliter la tâche à Maëlle, Morgana avait fait apparaître la vieille femme de la masure, expliquant comment la retrouver rapidement pour ne pas être trop longtemps exposée aux recherches de Mélijna. Au moins, dans le domaine du voyage, les talents de Maëlle s’étaient fort bien développés et seraient d’une grande aide.

La jeune femme avait donc quitté la montagne quelques jours plus tard, nerveuse et incertaine, mais décidée à réussir. À peine disparue du repaire de Morgana, Maëlle se matérialisa devant une cabane de bois vermoulu, perdue quelque part sur la Terre des Anciens. L’habitation semblait abandonnée depuis bien longtemps : le toit était défoncé, des peaux de bêtes en très mauvais état pendaient lamentablement aux fenêtres et le bois gonflé par l’humidité empêchait la porte de fermer correctement. Un instant, Maëlle se demanda si elle ne s’était pas trompée. Prenant son courage à deux mains, elle poussa la porte, qui résista un brin, et se retrouva bientôt dans la pénombre, à l’intérieur. Dans l’unique pièce, rien qui donnât l’impression que l’endroit était habité. Une épaisse couche de poussière recouvrait le plancher et les rares meubles. Une dérangeante odeur de moisi, d’humidité et d’autres choses encore donnait envie de ressortir en vitesse.

Enfin, dans un coin, la Fille de Lune vit un lit, sur lequel une couverture bougeait faiblement, au rythme d’une respiration saccadée. Doucement, elle s’approcha, ne sachant pas comment elle serait reçue. À sa grande surprise, une voix s’éleva, faible et résignée :

— Qui es-tu et que me veux-tu, Fille de Lune qui n’est pas maudite ?

Maëlle opta pour la franchise, espérant que ce choix lui serait profitable.

— Je suis venue de la part de Morgana… C’est au sujet du talisman de Maxandre… Elle croit que vous détenez peut-être la solution à sa disparition…

La jeune femme avait parlé lentement, laissant entre chaque phrase un temps de réflexion. La manœuvre porta ses fruits.

— Et pour qui cherche-t-elle un bijou de cette valeur ?

Sans savoir pourquoi, Maëlle répondit que c’était pour elle, mais la vieille femme, toujours cachée sous sa couverture, ne fut pas dupe.

— Même si tu es une Fille de Lune, tu n’as pas les talents ni la puissance que nécessitent la possession d’un talisman comme celui-là !

La voix avait beaucoup gagné en assurance, en l’espace de quelques minutes. Maëlle eut même l’impression qu’un sentiment de colère couvait. Elle se fit plus prudente.

— Vous avez raison, ce n’est pas pour moi, c’est pour une jeune femme de la lignée maudite. Elle aura besoin du véritable pendentif dès son retour de Brume et c’est pourquoi je suis ici. Il faut absolument que nous puissions localiser l’original…

De longues minutes s’écoulèrent dans un pesant silence que rien ne vint troubler. Sous sa couverture de laine rêche, Miranda pleurait doucement, maudissant le sort qui voulait que ce ne soit pas l’une de ses descendantes qui vienne chercher le cadeau empoisonné laissé par Alana. Elle aurait survécu si longtemps en vain…

Inquiète, Maëlle s’approcha lentement. Elle ne croyait pas que la femme puisse être dangereuse. La Fille de Lune s’arrêta à moins d’un mètre du lit, attendant que Miranda brise le silence. Celle-ci se redressa d’abord lentement, s’appuyant dans l’encoignure des murs, les jambes allongées sur la paillasse. Elle soupira longuement, avant de tendre la main droite vers Maëlle, les larmes roulant toujours sur ses joues sillonnées de rides profondes. Sur sa paume, la copie du talisman semblait briller dans la pénombre. Dès que Maëlle le prit, il s’illumina brièvement, puis s’éteignit totalement.

— C’est la preuve que ce pendentif n’est pas fait pour toi. Si tel avait été le cas, il aurait irradié en permanence, jusqu’à ce que tu trouves l’original ou la façon de le faire s’éteindre…

Il n’y avait pas le moindre reproche dans la voix de Miranda, juste une immense lassitude. Elle continua sans même que Maëlle ait besoin de le lui demander.

— Si Morgana a su trouver le chemin jusqu’à moi, c’est parce que l’héritière du talisman de Maxandre s’est enfin fait connaître sur la Terre des Anciens. Je pourrai donc partir, comme je le souhaite depuis si longtemps, rassurée sur ma descendance et confiante en l’avenir…

La vieille femme s’interrompit, prise d’une violente quinte de toux. Maëlle aurait voulu lui venir en aide, mais elle ne savait pas encore comment utiliser ses dons de guérison sur une autre personne qu’elle-même. De toute façon, son instinct lui disait que ça n’aurait pas fait de différence ; cette femme était condamnée.

— Qui êtes-vous ? ne put-elle s’empêcher de demander, après que Miranda eut repris son souffle.

Son interlocutrice esquissa alors un sourire triste de sa bouche édentée. Elle plissa le front, comme si elle essayait de se souvenir de la réponse à cette question pourtant très simple. Elle répondit en pesant soigneusement ses mots.

— Pour la majorité des défenseurs de la Terre des Anciens et leurs ennemis, il y a déjà plus de soixante ans que je ne suis qu’un souvenir, une image floue qui revient parfois les hanter. Ils s’interrogent trop rarement sur ce qu’est devenue la Fille de Lune maudite qui a autrefois fui vers Brume. Pour Alana, déesse protectrice des gardiennes, je suis celle qui a permis à une précieuse relique de traverser les épreuves et le temps, préservant l’espoir et assurant l’avenir de la Terre des Anciens au détriment de ma propre vie. Pour les autres, je ne suis rien de plus qu’une vieille folle parfois rencontrée au hasard. Et très bientôt, je ne serai plus rien, alors que tous m’auront oubliée, ignorants de mon immense contribution…

Étrangement, il y avait beaucoup de soulagement dans la dernière phrase. Miranda avait hâte de quitter cette terre qu’elle jugeait ingrate…

— Mais pourquoi avoir accepté la requête d’Alana ? demanda Maëlle, qui doutait que la déesse ait imposé la vie à une Fille de Lune ayant manifestement perdu ses pouvoirs. Et pourquoi, si vous êtes une Fille de Lune, ne l’ai-je pas tout de suite ressenti ?

Le sourire édenté reparut, légèrement accentué.

— Je constate avec plaisir que tu écoutes attentivement et que tu sais analyser les réponses. C’est une qualité plutôt rare chez les humains en général, remarqua la vieille femme avec une pointe de sarcasme.

Penchant la tête, Miranda afficha une moue songeuse.

— J’ai acquiescé à la requête d’Alana dans l’espoir que ce talisman si précieux conduise à moi les femmes de ma descendance. Mon souhait le plus cher était de pouvoir les connaître et rendre l’âme avec la certitude d’avoir réussi quelque chose dans ma triste vie. Dans ma grande naïveté, je n’ai pas compris que je ne pourrais pas mourir tant qu’une Fille de Lune ne viendrait pas récupérer ce pendentif mystique.

À ces mots, Maëlle fut parcourue d’un long frisson.

— Pour ce qui est de ton autre question, poursuivit Miranda, ignorante du malaise soudain de Maëlle, c’est un cadeau de la déesse. Pour éviter que ne s’éteigne définitivement la lignée maudite, elle a fait en sorte que je ne sois plus repérable en tant que Fille de Lune par l’un ou l’autre des camps rivaux. Un cadeau très utile, mais combien cruel même s’il préservait ma vie, puisqu’il éloignait ainsi de moi mes descendantes…

De nouvelles larmes glissèrent sur les joues parcheminées de Miranda, sans que cette dernière fasse le moindre effort pour les retenir. Son regard se perdit, probablement plongé dans ses souvenirs. Elle sembla tout simplement oublier la présence de Maëlle. Ayant réussi sa mission, celle-ci se préparait à partir. Elle hésitait à abandonner Miranda, mais elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait faire d’autre.

Lentement, la Fille de Lune recula vers la porte. Brusquement, Miranda se cambra. Elle rejeta la tête en arrière en même temps qu’elle tendait la main droite devant elle.

— Ne bouge plus, Fille de Lune ! dit-elle d’une voix à donner froid dans le dos. Ne bouge plus ou tu ne reverras jamais celle qui t’a envoyée jusqu’ici !

Sous le choc, Maëlle s’immobilisa. Avant qu’elle comprenne ce qui se passait exactement, Miranda lança d’autres directives, contradictoires.

— Écarte-toi ! Tout de suite !

La vieille femme, qui semblait dépourvue de la moindre étincelle de vie quelques minutes plus tôt, dégageait maintenant une aura de puissance qui fit tressaillir Maëlle. Celle-ci se poussa vers la droite en écarquillant les yeux, réalisant que Miranda ne la regardait pas, mais fixait un point derrière elle.

— Allez ! Entre ! cria Miranda d’une voix chargée de colère et de rancune. J’attends ce moment depuis tellement d’années !

Entre que je puisse voir une dernière fois le visage de celle qui m’a tant fait souffrir ! Viens constater les ravages qu’infligent des décennies de tristesse, d’attente et de déception.

Maëlle ne comprenait toujours pas de quoi il retournait. Miranda semblait en plein délire… Sans avertissement, la porte de la masure vola littéralement en éclats. Se profila alors à contrejour une vision de cauchemar. Maëlle crut même sa dernière heure venue. Paralysée par la peur, elle ne pouvait détacher ses yeux de la sorcière qui lui souriait, plus mauvaise que jamais. Sa précédente rencontre avec cette furie s’était soldée par la mort de sa mère et elle-même n’avait survécu que grâce à la magie de Morgana. Par contre, celle-ci l’avait prévenue, juste avant que Maëlle ne quitte la montagne, qu’elle ne pourrait plus la sauver comme elle l’avait fait ce jour-là. Morgana avait pris un risque énorme en défiant la réclusion imposée par les dieux de la Terre des Anciens. Comme elle l’avait déjà fait une autre fois par le passé pour entendre les prédictions de l’oracle de la Montagne aux Sacrifices, elle doutait que les divinités puissent lui pardonner une troisième offense.

Jamais Maëlle n’aurait pensé que Mélijna la retrouverait si vite. Morgana lui avait dit que la sorcière n’était pas au meilleur de sa forme. Naïvement, Maëlle avait cru que Mélijna ne prendrait pas le risque de se déplacer si loin.

— Tu crois peut-être que j’ai peur d’une vieille sorcière qui se terre peureusement depuis des siècles, incapable d’affronter ce qu’elle est, c’est-à-dire la honte de la lignée maudite ? gronda Miranda. Celle par qui tout a failli être perdu, celle qui n’a pas le courage de ses illustres aïeules et qui s’imagine aujourd’hui qu’elle va me faire la leçon…

Mélijna émit un ricanement qui n’avait rien d’humain.

— Même si tu crois encore en valoir la peine, j’ai le regret de t’annoncer que tu ne m’intéresses pas du tout, Miranda.

La sorcière pivota vers Maëlle, qui n’avait toujours pas bougé depuis cette apparition cauchemardesque. D’une voix doucereuse, elle lança :

— Ainsi, ma jolie, tu comptais pouvoir m’échapper ? Tu apprendras que personne n’échappe bien longtemps à Mélijna, personne !

Sans réfléchir, Maëlle rétorqua :

— Naïla et Alix ont bien réussi, eux !

La réplique eut l’effet d’une gifle sur la sorcière. Ses yeux rétrécirent jusqu’à ne plus former que deux fentes et elle serra ce qui lui restait de dents dans un grincement sinistre. Sans plus attendre, elle tendit la main vers Maëlle et prononça trois mots dans la langue des Anciens. La Fille de Lune perdit aussitôt le contrôle de son corps ; elle ne pouvait plus faire le moindre geste ni proférer la moindre parole. Ses yeux seuls témoignaient de son affolement. La sorcière éclata d’un rire maléfique.

— C’était vraiment trop facile. Et moi qui croyais que cette petite garce avait des pouvoirs que je n’avais pas su déceler à son arrivée.

Méchamment, elle ajouta :

— Tu ne vaux pas mieux que ta pauvresse de mère, qui n’a même pas su se défendre. Triste réalité que celle des nouvelles Filles de Lune aux pouvoirs si médiocres.

Mélijna contemplait sa capture avec une satisfaction bien visible. Elle allait enfin pouvoir retrouver cette énergie qui lui faisait si cruellement défaut depuis quelques mois. La vieille harpie se voyait déjà capturant Alix et Naïla, prenant possession des trônes mythiques au détriment d’Alejandre et anéantissant à jamais les Filles de Lune. Elle dut se faire violence pour revenir au présent. Elle ne pouvait pas se permettre de rêver, pas encore. Dans quelques minutes, ce serait possible, lorsqu’elle aurait tué Maëlle et bu le contenu de la petite fiole suspendue à son cou. La suite ne se déroula toutefois pas comme prévu.

Absorbée par sa victoire prochaine, Mélijna avait oublié Miranda. Celle-ci ne bougeait pas et respirait à peine, consciente que son ennemie ne lui prêtait pas la moindre attention. Elle attendait le bon moment pour intervenir. Elle patientait depuis des décennies, quelques minutes de plus n’y changeraient rien.

Quand Miranda fut certaine de pouvoir agir avec un excellent potentiel de réussite, elle remua doucement les lèvres, puis accéléra progressivement la prononciation des mots soigneusement choisis. Lentement, un murmure commença à emplir la pièce, comme une vibration qui s’accentua au fur et à mesure que Miranda égrenait sa litanie sortie du fond des âges. Elle ne pouvait plus utiliser la magie traditionnelle depuis son retour de Brume, mais elle avait su développer autre chose, une forme de sortilège autrefois apprise dans un monde différent de celui-ci, sur une île où personne ne se rendait plus.

La vibration prit de l’ampleur, s’étalant, englobant les rares meubles, le lit, les lattes du plancher, ce qui restait de la porte béant sur ses gonds. Mélijna fronça les sourcils. Elle se tourna vers sa rivale et tenta de contrer sa magie. Au bout de quelques secondes, l’effet diminua et un sourire triomphant étira les lèvres minces de la sorcière.

— Tu croyais peut-être que tes restes de magie pourraient contrecarrer mes plans alors que j’étudie depuis des siècles ? Pauvre vieille folle !

Certaine de son avantage, Mélijna ne prit pas davantage de précautions et reporta son attention sur Maëlle.

— Je n’en espérais pas moins de toi, Mélijna…, murmura Miranda avant de se remettre à psalmodier dans la langue des Anciens.

De fait, elle avait cessé ses incantations aussitôt que Mélijna lui avait porté attention, encourageant cette dernière à croire qu’elle aurait le dessus. Maëlle, de son côté, attendait le bon moment pour se précipiter vers la porte. Par télépathie, Miranda lui avait transmis la formule permettant de se défaire de l’emprise de la sorcière. Dès que cette harpie détournerait à nouveau son attention, elle devait se libérer et disparaître, ne se préoccupant que d’elle.

La vibration prit de l’ampleur une nouvelle fois, gagna des sommets de puissance, incitant à croire à un début de tremblement de terre. Comprenant qu’elle n’avait pas réussi à neutraliser la magie de Miranda, Mélijna opta pour une solution radicale : tuer la magicienne. Ce qu’elle aurait d’ailleurs dû faire en arrivant, mais elle n’imaginait pas que Miranda put avoir en elle autant de ressources. Mélijna prononça alors une terrible formule. Les yeux de Maëlle s’agrandirent. Elle savait que la vieille femme allait bientôt mourir, mais elle s’efforça de ne pas y penser, se concentrant pour disparaître.

Au grand étonnement de Mélijna, qui avait oublié que deux Filles de Lune maudites ne peuvent s’entretuer, Miranda ne tomba pas raide morte comme elle aurait dû, elle s’embrasa. L’effet de surprise fut toutefois de courte durée. Puisque le résultat serait le même que celui qu’elle recherchait, Mélijna jugea que c’était suffisant et se retourna. Cette fois, la stupeur la cloua sur place et la rage l’envahit à la vitesse de l’éclair. À l’endroit où aurait dû se trouver Maëlle, il n’y avait personne. La sorcière tenta de la repérer avec ses sens, mais elle dut renoncer et sortir de la bicoque. La combustion de Miranda s’était propagée au lit, de même qu’aux murs de la cabane ; l’habitation ne serait bientôt plus qu’un tas de cendres.

À l’extérieur, la fureur de Mélijna atteignit son paroxysme lorsqu’elle dut admettre que la jeune Maëlle lui avait glissé entre les doigts pour la troisième fois. Elle quitta les lieux encore plus lasse, et regagna son repaire sans même un regard en arrière. Alana, pour sa part, poussa un soupir de soulagement. Maëlle était sauve et Miranda avait quitté cette terre dans la dignité, par ses bons soins.

Quelques heures plus tard, sous les rayons de lune, dans les décombres fumants de la masure, un objet brillait faiblement. Sous certains aspects, Miranda avait survécu…

* *

*

De retour chez Morgana, une Maëlle déboussolée avait narré les récents événements. La magicienne comprit que la jeune femme n’était pas prête, pas plus que sa magie, pour affronter les dangers de la Terre des Anciens. Elle devrait attendre encore et s’exercer beaucoup avant de se voir confier une seconde mission. Morgana décida de ne pas raconter à Maëlle le passé de Miranda, confirmant simplement que c’était une Fille de Lune de la lignée maudite. La Recluse prétexta ne pas très bien connaître la vie de cette femme. En vérité, jusqu’à aujourd’hui, elle croyait la connaître. Pourtant, en ce moment, elle s’interrogeait. Elle se jura de découvrir le fin mot de l’histoire.

* *

*

Appuyé contre le tronc d’un chêne immense, Kaïn regardait la montagne devant lui en grommelant. Il devait y pénétrer pour rencontrer le dirigeant des gnomes et sa sorcière, mais il n’en avait aucune envie. En fait, c’était la dernière chose dont il ait envie ! Malheureusement, il n’avait plus le choix. Voilà déjà trop longtemps qu’Andréa souffrait, en partie par sa faute, et il était grandement temps qu’il fasse quelque chose. Son geste ne le rachèterait sûrement pas aux yeux de celle qu’il aimait, mais cela aurait au moins le mérite de redonner vie à une femme aussi puissante que bénéfique pour la Terre des Anciens.

Lentement, le Sage se détacha de l’arbre et avança vers le sentier qui en sillonnait le flanc. Il y avait près de sept siècles qu’il n’avait pas mis les pieds dans la plus importante ville des gnomes, et ce genre de visite ne lui manquait nullement. Pour lui, les gnomes possédaient une puissance qui dépassait de beaucoup celle du commun – comme tous les élémentaux, d’ailleurs – mais, au contraire des sylphes et des glyphes, ils étaient trop bêtes pour s’en servir. Pathétique !

En chemin, la physionomie de Kaïn se modifia. Ses oreilles elfiques disparurent, sa peau prit un aspect cuivré reflétant la lumière du soleil, son corps musclé s’amincit et s’allongea de plusieurs centimètres, ses cheveux châtains devinrent d’un roux flamboyant et dans ses yeux apparurent, à la place des pupilles, de petites flammes dansantes. La transformation était complétée lorsqu’il atteignit l’entrée de la grotte principale. Sans se soucier des convenances, il fit pivoter la pierre bloquant l’accès et pénétra dans les tunnels.

Sa présence ne mit que quelques secondes à être connue. Des bruits se firent entendre dans le long couloir et Fénon se précipita à la rencontre de Kaïn moins de cinq minutes plus tard. Le gnome fit une brève révérence au visiteur inattendu et déclara, cachant mal sa surprise :

— Mais, mais… Pourquoi personne ne nous a prévenus de la venue d’un émissaire des salamandres ? Je… Je… Nous aurions pu vous recevoir comme il se doit…

Intimidé par la taille de l’élémental, qui faisait bien le triple de sa hauteur sinon plus, Fénon bafouilla de plus belle. D’un geste impatient, Kaïn balaya les excuses du représentant officiel des gnomes. Il grommela, dans la langue du feu :

— Je dois immédiatement voir Phénor. La situation est urgente, alors conduis-moi à lui sans plus attendre.

Fénon, qui maîtrisait parfaitement cette langue étrange – travail d’émissaire oblige –, fit signe à Kaïn de le suivre. Ce dernier pénétra dans la grande salle sous les yeux de nombreux gnomes qui voulaient voir l’élémental, visite aussi rare qu’importante. Phénor et Oglore se tenaient tout au fond, ostensiblement nerveux. Les élémentaux du feu et ceux de la terre ne se parlaient plus que par obligation, bien qu’ils soient du même côté, celui des opposants au régime de Darius. Cette visite était donc aussi surprenante qu’imprévue.

— Je suis venu vous prévenir que de nombreuses expéditions pour retrouver les trônes mythiques sont en route. Trois d’entre elles ont un très grand potentiel de réussite…

Le Sage laissa sa phrase imprégner l’esprit de Phénor et d’Oglore avant de poursuivre.

— Heureusement, l’une d’elles a une vision semblable à celle que nos peuples préconisent par rapport à la domination des autres mondes : elle ne pose donc pas de problème. Je sais de source sûre que les deux autres comptent demander l’aide des sylphes et des glyphes pour mener à bien leur quête. Je suppose que nos rivaux refuseront, mais je préfère que nous ne prenions pas cette chance. Ces groupes sont trop bien organisés…

— Vous venez donc quêter une association pour que nous arrêtions ensemble cette progression…

Sur le visage de Phénor se lisait une étrange satisfaction. Le dirigeant se voyait déjà négocier le partage des pouvoirs à venir. Un instant, le Sage eut envie de ne pas le détromper, mais il opta plutôt pour une attitude défensive et protectrice de son peuple d’emprunt.

— Oui et non…

Silencieuse depuis l’arrivée de la présumée salamandre, Oglore prit la parole, un tantinet arrogante.

— Alors qu’est-ce que vous nous voulez ?

Elle ne goûtait pas tellement cette visite inhabituelle et avait hâte de savoir à quoi s’en tenir. Ignorant délibérément la sorcière, Kaïn s’adressa à Phénor.

— Je viens seulement vous dire que mon peuple s’occupera du groupe qui traversera la chaîne de montagnes volcaniques. Nous ne laisserons personne fouler l’un des plus grands symboles de notre puissance sur le feu. Par contre, je vois mal pourquoi nous devrions nous préoccuper du groupe qui traversera l’autre section de la chaîne de montagnes, celle qui recèle la majeure partie de vos richesses…

Les yeux de Phénor s’agrandirent sous l’effet de la surprise. Non seulement il se demandait comment l’élémental pouvait connaître l’endroit où les gnomes cachaient les trésors qu’ils extrayaient du sous-sol, mais aussi :

— Jamais aucune expédition n’est passée par là ! La piste qui traversait autrefois les montagnes à cet endroit s’est depuis longtemps perdue !

— Il semble que tous n’aient pas oublié…, rétorqua Kaïn, sarcastique. Vous auriez peut-être dû être plus prudents…

Piquée au vif, Oglore répliqua :

— Nous avons été très prévoyants dans le choix de notre lieu d’entreposage et… Et je ne vois pas pourquoi nous discutons de tout ça avec vous. Vous avez transmis votre message, alors vous pouvez partir.

— Oglore a raison, renchérit Phénor. Vous pouvez partir…

N’ayant pas encore obtenu ce qu’il était venu chercher, Kaïn ne pouvait quitter les lieux si vite. Tandis qu’il réfléchissait à la meilleure façon de soutirer à la sorcière l’ongle dont il avait besoin, un cri de douleur se fit entendre.

Phénor et Oglore se regardèrent, avant de jeter un œil vers Kaïn, craignant ses questions.

— Ce n’était pas un cri de gnome, mais bien une plainte humaine. Vous avez recommencé à faire des prisonniers ?

L’interrogation, lourde de sous-entendus, dérangea les deux acolytes. Phénor et Oglore étaient réputés pour leur propension à ne pas respecter les trêves avec les humains – ou toute autre créature. Oglore tenta d’atermoyer.

— Oh, mais ce n’est pas un humain comme ceux que mentionne le dernier traité de paix. Ce n’est ni un Être d’Exception ni une Fille de Lune ni quelqu’un de ce genre. En fait, c’est un paysan qui s’est aventuré dans nos galeries et qui a refusé de rebrousser chemin, prétextant que la grotte était sur ses terres. Nous voulons simplement lui faire comprendre qu’il peut être très dangereux de ne pas respecter les règles non écrites de la Terre des Anciens. Nous le relâcherons dès qu’il fera preuve de compréhension, susurra Oglore d’une voix qui aurait donné envie de vomir aux plus endurcis.

Kaïn haussa ses sourcils roux, esquissant une moue dubitative, alors qu’un nouveau cri, d’origine gnome, cette fois-ci, résonnait. Il profita de la consternation de Phénor et d’Oglore pour demander :

— Je peux le voir, ce prisonnier ?

C’était exactement ce que les deux gnomes voulaient éviter en lui racontant leur petite histoire. Sachant qu’il valait mieux ne pas s’obstiner, Oglore acquiesça d’un signe de tête, avant de quitter la salle par une ouverture derrière le trône. Phénor et Kaïn la suivirent. Une série de jurons se fit alors entendre dans une langue propre aux êtres détenteurs de grands pouvoirs et Kaïn comprit où avait disparu Madox depuis quelque temps. Même s’il était extrêmement puissant, le Sage n’avait pas encore trouvé le moyen de fouiller magiquement les souterrains des gnomes.

Depuis leur naissance, Kaïn s’était fait un devoir de repérer magiquement les enfants d’Andréa deux à trois fois par mois, parfois plus, probablement pour se donner bonne conscience. Depuis l’arrivée de Naïla, il avait souvent omis de se livrer à son petit rituel. Résultat : il savait Laédia prisonnière depuis trop longtemps. Madox avait dû tenter de la sauver et s’était visiblement fait prendre. Les Déus oubliaient trop souvent que les souterrains des gnomes ne toléraient aucune magie autre que celle de ses habitants. Et l’épée ne pouvait pas tout régler, dans la mesure où les belligérants étaient rarement en nombre égal.

Oglore avançait lentement dans le couloir menant aux cachots. Elle cherchait un moyen de se débarrasser de leur encombrant visiteur sans laisser de traces. Il ne fallait surtout pas qu’il devine la valeur de l’homme qu’elle avait réussi à capturer ni son importance pour le peuple des gnomes. Tout allait si bien depuis quelques jours, pourquoi avait-il fallu que cette salamandre débarque aujourd’hui avec ses supposées nouvelles importantes ? Elle n’aurait pas pu attendre un jour ou deux de plus ? Une nouvelle série de plaintes monta, mélange de gnome et d’humain. Oglore pressa le pas. Pourvu que Madox ne soit pas parvenu à se défaire de ses liens.

Le spectacle qui s’offrit à eux au détour d’un couloir tenait du cauchemar. À tout le moins pour Oglore. Plus d’une douzaine de gnomes gisaient sur la pierre, morts. Un peu plus loin, Madox livrait une lutte acharnée à trois gnomes armés. Bien que l’équation soit inégale, le Déus avait le dessus. Sa force, son expérience et sa volonté de vaincre étaient décuplées par sa rage et la haine qu’il vouait aux élémentaux de la terre.

Furieuse, Oglore se précipita vers les combattants, oubliant la présence de Kaïn. Celui-ci regarda la scène avec curiosité, malgré le sérieux de la situation. De toute façon, il ne pouvait pas intervenir pour le moment. Il avait rarement pu observer le fils d’Andréa d’aussi près…

Oglore rejoignit les belligérants au moment où le dernier gnome rendait l’âme. Elle voulut jeter un puissant sortilège, mais elle rata sa cible. Surprise de son insuccès, Oglore mit trois secondes de trop à réagir. Laps de temps suffisant pour permettre à Madox de lui envoyer un redoutable coup d’épée au flanc gauche. La blessure ne mit malheureusement que quelques secondes à se refermer. Madox jura. Il savait parfaitement qu’il ne ferait jamais le poids face à l’affreuse sorcière tant que celle-ci serait dans son univers. Sans sa puissante magie, le Déus luttait pour rien, mais il ne pouvait se résigner. D’un grand geste, il brandit à nouveau son épée vers Oglore, qui leva alors la main pour se défendre à l’aide d’un sortilège. Madox trancha le doigt pointé vers lui. Les yeux de la sorcière s’écarquillèrent de surprise. Si elle pouvait soigner ses blessures en un temps record, Oglore ne pouvait rattacher à son corps un membre sectionné. Grâce à une formule, elle cautérisa la plaie sanglante, mais perdit ainsi un temps précieux. Quand elle regarda enfin autour d’elle, le jeune homme avait disparu. Inutile de dire que la colère d’Oglore inquiéta même Phénor.

* *

*

Juste à l’entrée des souterrains, Madox reposait, inconscient. Il mit quelques minutes avant de recouvrer ses esprits. La dernière chose dont il se rappelait, c’était d’avoir été aspiré à l’extérieur des grottes. Comment cela était-il possible ? Il haussa les épaules. L’important, c’était qu’il se soit sorti de ce guêpier vivant. Pour le reste…

Il lui fallait maintenant retrouver la trace de sa sœur. La sorcière de Phénor avait laissé partir Laédia le lendemain de la capture de Madox. Ce n’était pas une faveur qu’elle avait accordée à Madox, loin de là. Il avait supplié la sorcière de laisser l’adolescente à ses côtés. Mais Oglore n’avait que faire des demandes de son prisonnier. Laédia était très mal en point et tenait à peine debout quand elle avait quitté les souterrains, les yeux bandés et sous bonne escorte. Dans les jours suivant son départ, Oglore s’était fait un plaisir de rappeler au jeune homme que sa sœur était probablement morte avant d’avoir rejoint le plus petit village, les gnomes l’ayant abandonnée dans une région inhabitée.

* *

*

Kaïn avait difficilement pu conserver une attitude neutre face à la déconfiture d’Oglore, surtout qu’il en était responsable. Il avait transféré à Madox, pour une seule utilisation, le pouvoir qui lui permettait, depuis sa naissance, de circuler magiquement dans les grottes des gnomes. Il ne pouvait pas condamner à la prison, à la torture ou à la mort le fils d’Andréa. Pas après tout le reste… Il lui fallait maintenant être des plus prudents parce qu’il ne pourrait utiliser lui-même ce pouvoir pour sortir aujourd’hui.

Apparence d’élémental de feu oblige, il avait paru légèrement ennuyé, mais sans plus, par la disparition du prisonnier. Pendant de longues minutes, la sorcière avait déblatéré, maudissant tous les dieux des gnomes et de la Terre des Anciens pour les revers incessants qu’elle et son peuple essuyaient depuis des siècles. « Et puis quoi encore ? » se gaussa Kaïn, qui connaissait des peuples mille fois plus éprouvés que ces maudits gnomes. La diversion provoquée par la disparition de Madox avait toutefois eu un effet inespéré. Dans la cohue qui avait suivi, le Sage avait discrètement récupéré le doigt de la sorcière et l’avait dissimulé sous les écailles de sa peau cuivrée. Il avait l’ongle tant convoité. Restait maintenant à quitter les lieux sain et sauf.

Ce fut plus facile qu’il ne le pensait. Préoccupés par les conséquences des récents événements et catastrophés par la mort de plusieurs gnomes, Oglore et Phénor furent on ne peut plus heureux de voir s’en aller le représentant des salamandres. Ils ne prirent même pas la peine de le faire raccompagner à la sortie.

* *

*

Aujourd’hui, Andréa souhaitait que Myrkie fasse une nouvelle tentative de communication avec Naïla. L’Insoumise Lunaire savait que sa fille aurait bientôt un besoin désespéré d’aide et de conseils.

Andréa était l’une des rares Filles de Lune à rêver la vie de ses enfants. Elle ne faisait pas de rêves prémonitoires autres que ceux concernant sa progéniture. Et dans ce domaine, elle excellait. Toutefois, ce don était rarement une sinécure, parce qu’elle était trop souvent dans l’incapacité d’intervenir et devait se contenter d’assister, impuissante, aux événements.

Pour que la communication entre Myrkie et Naïla soit simple et efficace, il fallait réunir les herbes nécessaires à la concoction d’une potion essentielle, ce que la gamine fit. Après avoir discuté avec Andréa, elle regagna les profondeurs des souterrains pour se rendre aux sources chaudes. Il n’y avait qu’à partir de cet endroit qu’elle pouvait établir le contact, mais elle ignorait pourquoi. Andréa s’était bien gardée de lui dire que c’est parce qu’elle était dans un vide temporel, un lieu sur lequel l’écoulement du temps n’avait pas d’emprise. Myrkie passait d’une époque à une autre depuis des années, sans jamais s’en être rendu compte.

* *

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Concentrée sur l’étrange mixture qui mijotait dans son immense chaudron, Mélijna n’entendit pas son ravel se poser sur son perchoir. Devant le manque de réaction de sa maîtresse, Griôl lança un cri. La sorcière sursauta. Elle espérait ce retour depuis tellement longtemps qu’elle n’osait croire que l’oiseau avait accompli sa mission avec succès. Elle l’interrogea donc avec une certaine appréhension. À son grand soulagement, l’oiseau à tête de loup répondit avoir retrouvé l’Insoumise Lunaire. Elle se cachait sur le territoire des Insoumises, endroit où Mélijna ne pouvait aller. Il fallait attendre qu’Andréa quitte ces terres de glace. Pour le moment, qu’elle soit toujours en vie suffisait à contenter la sorcière.

Sur le chemin du retour, le ravel avait croisé le jeune homme aux cheveux roux, aux frontières des Terres Intérieures. Il cheminait avec un groupe d’hommes extrêmement restreint pour les ambitions que Mélijna le soupçonnait de nourrir. Il se nommait Yaël. Ce n’était donc pas Mévérick, mais il y avait de fortes probabilités qu’il soit son descendant direct. La ressemblance était trop frappante pour tenir du hasard. « Excellente nouvelle », se réjouit la sorcière. Un descendant de Mévérick avait bien plus de chances que quiconque de réussir là où tous les autres avaient échoué. Mais le bonheur de la sorcière fut de très courte durée…

Tandis que Mélijna se demandait jusqu’à quel point ce jeune homme avait hérité des qualités et des pouvoirs de son aïeul, Griol lui renvoya une image qui la glaça jusqu’à l’âme, si tant qu’elle en eût une. Sur la plaine, lors d’un bref affrontement, une femme, en tous points semblable à Mélijna dans la trentaine, avait apporté une aide magique à Yaël. En reconnaissant sa sœur Séléna, la sorcière sut qu’elle avait un problème de plus avec le rouquin, contrairement à ce qu’elle pensait un peu plus tôt. La présence de Séléna évitait tout questionnement : Yaël n’était pas du même côté qu’Alejandre. Jamais sa jumelle n’aurait accepté de servir les forces du mal et les opposants à Darius. Ce n’était même pas envisageable. De plus, les Filles de Lune qui recevaient l’honneur de revenir sous forme de spectre avaient toujours pour mission de veiller sur un défenseur de la Terre des Anciens. Une très mauvaise nouvelle pour Mélijna, qui se demandait depuis combien de temps cet honneur ultime avait été accordé à sa sœur. Le spectre de Séléna risquait de devenir encombrant dans les mois à venir. De longues heures de recherches s’annonçaient encore pour trouver comment s’en débarrasser…

Aussitôt, Mélijna commença à consulter ses grimoires. Au bout de quelques heures, elle s’autorisa une courte pause, le temps de boire une généreuse rasade de la potion qui mijotait toujours. La formule qu’elle avait découverte dans le volume relié en peau de dragon lui permettait de maintenir ses forces à leur niveau quasi optimal jusqu’à ce qu’elle puisse mettre le grappin sur Maëlle. Le problème, avec cette potion, c’est qu’elle ne se conservait pas plus d’une semaine. Et pour préserver sa pleine efficacité, elle ne devait jamais cesser de bouillir. De plus, sa préparation exigeait au moins quarante-huit heures. Mélijna ne pouvait donc jamais s’absenter plus de quelques jours si elle voulait avoir en permanence l’usage de ses pouvoirs et de sa forme physique. Aux effets spectaculaires s’opposaient des contraintes qui l’étaient tout autant. Vivement la réapparition de Maëlle qu’on en finisse une fois pour toutes.

* *

*

Partis du château depuis près de trois semaines, Alejandre et ses hommes arrivaient enfin en vue de la frontière des Terres Intérieures. Normalement, c’était ce jour-là que les mancius devaient rejoindre l’armée du sire de Canac pour la poursuite de la mission. Tous les hommes présents avaient été prévenus que des êtres différents allaient bientôt se joindre à eux, mais Alejandre appréhendait tout de même ce moment. La cohabitation entre les mancius et les humains n’ayant jamais été facile par le passé, il serait surprenant qu’elle le devienne subitement. Heureusement, Mélijna devait se présenter dans la journée du lendemain pour calmer les esprits qui risquaient de s’échauffer et décourager, à l’aide de la magie, les hommes qui pourraient avoir envie de se rebeller. Le sire dormit très mal cette nuit-là, craignant la défection des mancius, la rébellion des humains, la mort de Mélijna – même si sa santé semblait avoir pris du mieux depuis quelque temps – et combien d’autres plaies qui menaçaient de tout faire échouer. Comme une confirmation à ses craintes, Alejandre vit le jour se lever sur une pluie froide, un amoncellement de nuages à l’horizon et un échange houleux entre deux des hommes qu’il avait choisis pour mener les régiments distincts qu’il avait constitués pour un meilleur contrôle.

— Ça commence bien, maugréa-t-il en se dirigeant vers les belligérants.

Narc et Hélie étaient sur le point d’en venir aux coups. Autour d’eux, un attroupement s’était formé. Les hommes s’ennuyaient ferme ; une bonne bagarre divertirait. L’arrivée d’Alejandre refroidit sensiblement les ardeurs.

— Que se passe-t-il ?

— Hélie prétend que la venue des mancius se fera à notre détriment et que nous deviendrons des faire-valoir, nous faisant massacrer pour qu’eux puissent poursuivre leur route jusqu’aux trônes…

— Et toi, qu’en penses-tu ? s’enquit Alejandre.

— J’ai pris votre défense, sire, s’empressa de répondre Narc. Jamais vous ne trahiriez ceux de votre race pour vous rallier à des créatures qui ont si peu en commun avec nous. Sinon, je pourrais bien avoir envie de joindre mes poings à ceux d’Hélie…

Ne pouvant laisser passer une telle menace sans réagir, Alejandre tua toute ambiguïté dans l’œuf.

— Nous avons, Mélijna et moi – le nom de Mélijna suffisait souvent à dissiper, à lui seul, toute envie de révolte –, demandé l’aide des mancius parce que nous voulions qu’ils servent de bouclier. Nous devions nous assurer de garder le maximum d’hommes en excellente condition. Il fallait donc qu’un peuple assume les pertes. Satisfaits ?

Le ton sans réplique calma les esprits. Le sourire de Narc fut triomphant alors qu’Hélie se détourna en ronchonnant, convaincu qu’il avait raison. Quand tous se furent dispersés, Alejandre marmonna entre ses dents :

— Si vous saviez combien je me fiche de savoir qui, des hommes ou des mancius, assumera le plus de pertes. Pourvu que j’atteigne mon but, c’est tout ce qui compte…

 

Le talisman de Maxandre
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